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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 23:12

Tristes-territoires.-Service-public-brise.jpgDepuis an et demi, à peu près, Claude Lévi-Strauss n’est plus.

Ses idées nous manquent. Comme nous manquent effroyablement ses analyses, si belles, si justes, si indispensables sur la société contemporaine, ses rouages, ses mythes.

Son éthique aussi.

S’il avait vécu plus longtemps, j’en suis certain, il n’aurait dédaigné l’étude du service public. Il aurait pu poser ses analyses ethnologiques reliées à la représentation de l’intérêt général, au sens de l’Etat, l’éthique - éventuelle -  de ses émissaires, ou encore des institutions publiques telles que les collectivités territoriales.

Il aurait su déceler une approche théorique et anthropologique pour ces nouveaux terrains - presque vierges - d’étude, où ses conceptions innovantes auraient permis d’éclairer bon nombre de décideurs et, par extension, leurs politiques territoriales.

Sur ces nouveaux sujets, ses recherches auraient bénéficié, comme les antérieures,  de cette capacité admirable de mettre en parallèle la croyance - si caractéristique - de l’employé public et les dynamismes inouïs de son travail désormais confronté aux tempos de l'entreprise commerciale.

Pertinentes, justes, congrues et inventives, ses observations seraient à même d’énoncer exactement ce qui motive l’ordinaire de l’agent public, à savoir : l’offre et la contre-offre.

Un peu à l’instar des feues sociétés primitives dans lesquelles subsistaient des équilibres sociétaux essentiels basés sur le don et le contre-don entre les individus.

Des échanges généreux, désintéressés et paritaires structurant les principes mêmes de l’action publique.

Il s’étonnerait peut-être aussi de la préservation et de l’héritage de ces drôles de "tribus" qui se perpétuent encore de nos jours malgré les chétifs traitements (salaires) et des surprenantes circonstances qu’encore aujourd’hui poussent tant de postulants à vouloir entreprendre une carrière professionnelle dans le service public.

De leur probité élémentaire mais indispensable à la qualité et au bon fonctionnement du service rendu aux usagers.

De ce goût pour des professions qui reposent, naturellement, sur la volonté implicite de donner pour échanger afin de principalement exister au sein de l’institution qui les emploie.

De cet ahurissant besoin de procurer un sens à leurs existences en agençant qualitativement chaque action au service de leurs concitoyens.

L’auteur disparu de : « L’Anthropologie structurale »  nous parlerait subséquemment du sens énigmatique de ces motivations à vouloir à tout prix donner pour recevoir en retour.

Une sorte de singulière et laïque vocation - si inhabituelle dans nos temps modernes - à servir, à secourir, à aider et à soutenir là où, partout, la prédisposition de bon nombre d’individus est à la domination, à la dévastation, à la nuisance, à l’abus, à l’outrance  ….

Il décrirait dans les plus fins détails ces curieux sentiments d’importance tels que la sympathie, la reconnaissance, la fierté et la générosité qui s’expriment  dans le travail de l’agent public lorsqu’il garantit les prérogatives adéquates et égalitaires, car républicaines, qui émanent de ses agissements au service de l’intérêt général.

Il nous indiquerait distinctement aussi à quel point, ces formes bien précises de coopération des êtres entre eux et fondées sur l’offre et la contre-offre, ne peuvent être réduites à un élémentaire dispositif de gestion.

Car dans le don - aussi ambigu soit-il - interviennent les mécanismes complexes de la réciprocité qui régentent la stabilité, l’équilibre et l’équité dans les rapports sociaux.

Claude Lévi-Strauss, dans la « Pensée sauvages » ou encore dans « Tristes Tropiques » savait si bien retracer cela chez les populations primitives.

Dans nos sociétés vraisemblablement modernes, il ne pourrait que déplorer cette lente et inéluctable détérioration des « liants ».

S’il était encore parmi nous, Claude Lévi-Strauss, sonderait ce, pour le moins baroque, trajet entrepris par les institutions publiques qui ambitionnent aujourd’hui à cheminer similairement aux entreprises marchandes qu’elles ne sont pas.

Il nous alerterait alors sur les conséquences que ces  bouleversements occasionnent dans les permutations sociales et des risques que ces accointances  managériales encourangent. Des troubles qui ébranlent, en profondeur, notre propension à  donner, à concéder, à transmettre.

Il nous avertirait encore que ces désordres jaillissent, précisément, lorsque les institutions publiques, préfèrent que les employés soient quittes, plutôt qu’être mutuellement  redevables.

Au sujet de toutes ces expériences managériales saugrenues et agréées actuellement dans les établissements publics, le génie de l’anthropologue saurait établir la méprise  de nos décideurs lorsqu'ils cherchent, pour faire moderne,  à "mobiliser les R.H.", au lieu d’exploiter simplement leur volonté innée de donner, d’offrir.

Car exercer une activité de service public implique de posséder une éthique du partage et de la participation. Mal identifiée, peut-être, mais indiscutable.

Bref, nous aurions tant besoin aujourd’hui de la pensée d’un Claude Lévi-Strauss et de ses si inestimables « instruments théoriques » tant appropriés à l’étude de ce que nous sommes devenus, de ce que l’on a fait de nos territoires, des politiques afférentes, de la coopération, de la solidarité et de l’appel enthousiasmant à la citoyenneté indissociable de la fraternité des individus entre eux ...

Nous serions alors à même d’analyser, de comprendre et, qui sait alors,  de contenir toute la souffrance due à cette perte de sens dans nos activités.


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